La compétitivité fiscale du Luxembourg

Note de recherche scientifique
Publié le 23.09.2025 à 09h27 Mis à jour le 24.09.2025 à 06h00

Perspectives historique, économique et juridique. 

COMPÉTITIVITÉ ÉCONOMIQUE ET CONCURRENCE FISCALE ÉTATIQUE 

  • La compétitivité économique désigne la capacité d’un pays à maintenir et à améliorer durablement son niveau de vie, tout en préservant un haut niveau d’emploi et de cohésion sociale.
  • La concurrence fiscale étatique résulte de l’exercice, par chaque pays, de sa souveraineté fiscale pour attirer capitaux et entreprises. Dans l’Union européenne, ce phénomène est amplifié par la libre circulation des facteurs de production et la diversité des modèles économiques et fiscaux nationaux.
  • Les entreprises multinationales jouent un rôle dans cette dynamique, en tirant parti des écarts de fiscalité entre juridictions, notamment par la localisation stratégique des investissements et l’optimisation via les prix de transfert ou les montages financiers.
  • Les risques liés à la concurrence fiscale incluent l’érosion de la souveraineté fiscale, la diminution potentielle des recettes publiques et une pression accrue sur les bases fiscales les moins mobiles, soulevant des enjeux d’équité et de justice fiscale entre contribuables.
  • Plusieurs modèles de coopération fiscale peuvent être envisagés. Ils vont de la consolidation fiscale (option la plus intégrée mais la plus contraignante pour les États), jusqu’à l’édiction de règles minimales contre la concurrence dommageable, préservant davantage l’autonomie fiscale des pays.
  • Dans le cas spécifique du Luxembourg, la compétitivité s’inscrit dans le cadre d’une « petite économie ouverte », intégrée aux échanges internationaux et particulièrement sensible aux évolutions réglementaires extérieures.
  • Si la fiscalité constitue un levier important de l’attractivité, elle doit être considérée en interaction avec des leviers structurels (économiques, sociaux, institutionnels et environnementaux), dans un cadre de régulation de la concurrence fiscale internationale.

COMPRENDRE L’ÉCART ENTRE TAUX LÉGAL ET TAUX EFFECTIF D’IMPOSITION

  • Le Luxembourg présente un écart systématique entre le taux d’imposition nominal ou légal (29,22 % en 2016, 27,08 % en 2017 et 23,87 % en 2025) et le taux effectif réellement payé par les entreprises multinationales (estimé entre 1 % et 8 % pour la période de 2011 à 2017). Cette différence illustre des stratégies d’optimisation fiscale utilisées par les entreprises.
  • L’existence d’écarts importants entre le taux légal et le taux effectif n’est pas une spécificité propre au Luxembourg. Il s’agit d’une tendance observée dans de nombreux États membres de l’Union européenne (France, Allemagne, Irlande, Pays-Bas). Toutefois, ces écarts apparaissent plus marqués pour le Luxembourg.
  • Bien que les études économiques révèlent des taux effectifs d’imposition faibles pour les multinationales au Luxembourg, les estimations se fondent sur des modèles théoriques et des données qui peuvent ne pas refléter parfaitement la réalité actuelle des pratiques fiscales des entreprises.
  • En outre, les données utilisées dans les études existantes remontent à une période antérieure à 2018, soit avant la mise en place de réformes européennes telles que les directives sur la lutte contre l’évasion fiscale (« anti-tax avoidance directive » ou « ATAD »). Ces réformes ont probablement influencé l’évolution des taux effectifs d’imposition, et un examen des pratiques actuelles est nécessaire pour évaluer leur impact réel.
  • Une évaluation continue des données économiques issues des pratiques fiscales au Luxembourg est essentielle pour comprendre leur évolution et leur impact sur la transparence et la concurrence fiscale au sein de l’Union européenne. 

LE DÉVELOPPEMENT DE LA PLACE FINANCIÈRE LUXEMBOURGEOISE : PERSPECTIVES HISTORIQUES

  • Le Luxembourg a commencé à se positionner en tant que place financière attractive dès 1929, avec l'introduction d'un régime fiscal favorable pour les sociétés holdings (le régime fiscal des holdings 1929). Cette politique visait à attirer les capitaux étrangers, en particulier à travers des dispositifs législatifs souples.
  • Plutôt que de s'appuyer uniquement sur des taux d’imposition bas, le Luxembourg a privilégié la prévisibilité, la flexibilité et une ingénierie juridique étudiée. Cela a permis au pays de se distinguer par ses services de domiciliation, de gestion patrimoniale et de fonds d’investissement.
  • La coopération étroite entre les autorités publiques et les acteurs privés a joué un rôle crucial dans l'élaboration et la pérennisation du modèle de compétitivité fiscale du Luxembourg. Les gouvernements successifs ont ajusté les législations pour maintenir un environnement fiscal favorable.
  • Les études de cas montrent que la place financière luxembourgeoise s’est diversifiée et structurée au fil des décennies, pour devenir un acteur majeur dans les secteurs de la domiciliation, des fonds d’investissement et du private banking. Cela a été possible grâce à un cadre fiscal favorable et une régulation attirant des investisseurs internationaux et consolidant la position stratégique du Luxembourg.
  • À travers les différents cas étudiés, il apparaît aussi que le Luxembourg a souvent dû jongler entre la volonté d’attirer des investissements étrangers et celle de répondre aux exigences croissantes de transparence fiscale internationale.
  • L’histoire du Luxembourg montre comment le pays a dû adapter son modèle face aux critiques, tout en maintenant une compétitivité fiscale qui lui permet de demeurer attractif sur la scène internationale.

LE DROIT FISCAL LUXEMBOURGEOIS : OUTIL D’ATTRACTIVITÉ ÉCONOMIQUE ET FACTEUR D’EXPOSITION À LA CONCURRENCE FISCALE ÉTATIQUE

  • Dans les années 1990, la fiscalité des entreprises, notamment via le régime des holdings 1929, des sociétés de participation financières (« SOPARFIs ») et des fonds d’investissements, a constitué un pilier central de la stratégie nationale visant à renforcer l’attractivité internationale du Luxembourg. Ces dispositifs, bénéficiant d’un cadre légal et réglementaire favorable, ont permis d’attirer des capitaux étrangers significatifs, en particulier dans les secteurs de la gestion d’actifs et des investissements transfrontaliers.
  • Cette orientation fiscale a toutefois exposé le Luxembourg à des critiques relatives à la transparence et à la concurrence fiscale, conduisant à une adaptation progressive de son cadre juridique aux standards européens et internationaux.
  • La suppression du régime des holdings 1929 à partir de 2006 illustre le premier tournant en faveur de l’alignement sur les exigences de l’Organisation de coopération et de développement économique (« OCDE ») et de l’Union européenne.
  • Les réformes récentes et l’adaptation régulière de la législation en matière de fiscalité des entreprises traduisent un passage vers une « souveraineté fiscale encadrée », conciliant maintien de l’attractivité économique et conformité aux normes internationales et européennes.
  • Ce mouvement, renforcé par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne dans des affaires comme Fiat ou Amazon, réduit la marge de manœuvre concernant l’adoption de politiques fiscales agressives nationales et incite à diversifier les leviers de compétitivité au-delà du seul avantage fiscal.

AU-DELA DE LA FISCALITÉ : L’APPROCHE MULTIDI-MENSIONNELLE DE LA COMPÉTITIVITÉ LUXEMBOURGEOISE 

  • Si la fiscalité a historiquement constitué un levier central de l’attractivité luxembourgeoise, les analyses récentes (Observatoire de la compétitivité, institutions européennes, classements internationaux) montrent que la compétitivité repose désormais sur un ensemble de facteurs économiques, sociaux, institutionnels et environnementaux.
  • Dès 2004, le rapport Fontagné puis l’Observatoire de la compétitivité à travers le Tableau de bord de la compétitivité (TBCO), identifient des domaines clés tels que la performance macroéconomique, l’emploi, l’innovation, la qualité des infrastructures, la stabilité institutionnelle, la cohésion sociale et la durabilité environnementale, la fiscalité n’étant qu’un élément parmi d’autres.
  • Les données nationales et comparaisons internationales (Eurostat, IMD) mettent en avant plusieurs atouts du Luxembourg : sa stabilité macroéconomique et politique, sa main-d’œuvre qualifiée et multilingue, ses infrastructures performantes, son cadre juridique spécialisé, son ouverture internationale ainsi que son engagement dans les transitions écologique et numérique.
  • Ces données confirment que, si la fiscalité demeure un outil stratégique, elle s’inscrit dans un cadre plus large dans lequel la stabilité institutionnelle, le capital humain, l’innovation et la qualité des infrastructures jouent un rôle déterminant dans la compétitivité globale du Luxembourg

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