Biographies succinctes des députés absents de la Chambre après les élections de 1945
Dans la cinquième et dernière partie de notre série sur la Chambre et la Seconde Guerre mondiale, nous présentons les parcours des députés qui ne se siégaient plus à la Chambre après les élections du 21 octobre 1945.
Les parcours des députés pendant la Seconde Guerre mondiale sont très divers. Même les biographies individuelles peuvent se caractériser par une certaine complexité, notamment lorsque les attitudes évoluent en fonction du contexte. Les notices biographiques qui suivent sont limitées aux députés qui ne se retrouvent plus à la Chambre des Députés en 1945. Les raisons peuvent être diverses : décès naturel, mort dans un camp de concentration, suicide, accusation d’attitude antipatriotique ou simplement une réélection échouée. L’état des connaissances peut aussi varier d’un député à l’autre. Pour certains députés, il faut recourir à des bribes d’information dans les journaux. D’autres députés, en raison de leur notoriété, ont déjà attiré l’attention d’historiens.
Emile Bohnenberger : Échevin de la commune de Bech depuis 1935, Emile Bohnenberger succède au feu député Mathias Schaffner le 11 juillet 1940, mais son assermentation se déroule en comité secret, deux mois après l’invasion du Luxembourg. Il ne sera pas retenu comme membre de l’Assemblée consultative en 1945. Très peu est connu de lui pendant la guerre, outre le fait qu’il est commerçant de produits agricoles, comme de nombreuses publicités dans les journaux en témoignent. Bourgmestre de Bech de 1964 à 1972, il meurt en 1990 à l’âge de 92 ans1.
Jean-Baptiste Didier : Jean-Baptiste Didier, agronome de Rodenbourg, est élu sur la liste du Parti de la droite en 1921 et exerce son mandat de député sans interruption jusqu’en 1940. Il devient bourgmestre de Rodenbourg en 1929. En 1941, il est remplacé par un bourgmestre plus accommodant aux Allemands. Or, après la libération, il est accusé d’attitude antipatriotique. En 1941, il a fait du porte-à-porte avec un dirigeant local de la VdB dans sa commune pour inciter à l’adhésion au mouvement collaborationniste. En juillet 1945, le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, n’excluant pas qu’il puisse avoir agi sous pression, le condamne à une peine de prison de 2 ans pour sa « faiblesse déplorable »2. Il meurt après une maladie le 25 juillet 1946 à l’âge de 73 ans.
François Erpelding : Né le 22 octobre 1879 à Holzem, François Erpelding habite dès 1917 à Ettelbruck. Cet employé de chemin de fer à Kalchesbruck est élu pour la première fois en 1919, mais ce n’est qu’en 1922 qu’il est réélu sur une liste socialiste, conservant pour son parti un siège difficile dans la circonscription Nord. Après la guerre, il est confronté à des reproches d’attitude antipatriotique, mais sans une procédure juridique. Lors de l’épuration interne de son parti en novembre 1944, il est écarté des élections, mais reste un membre actif. Il meurt le 2 février 1961.
Marcel Feller : Marcel Feller est né le 3 septembre 1890 à Troisvierges. Il est sous-chef de gare à Pétange jusqu’en 1945, puis chef de station à Berchem et à Kleinbettingen. Membre du conseil communal de Pétange depuis 1934, il devient député lorsque Pierre Krier rejoint le Gouvernement de Pierre Dupong en novembre 1937. D’abord empêché d’exercer son mandat parlementaire par son employeur, la société Prince Henri, il est finalement assermenté en janvier 1938. Feller est également membre de la Fédération nationale des cheminots luxembourgeois, qu’il préside jusqu’en 1936. En juillet 1940, il est brièvement nommé échevin de Pétange par la Commission administrative. Après la guerre, il est accusé d’avoir collaboré avec l’occupant. Il n’est ni condamné ni sanctionné par l’enquête administrative, mais ne remplira plus de mandat politique. Il décède le 6 février 1975 à Luxembourg.
Pierre Godart3: Pierre Godart naît le 11 octobre 1869 à Niederdonven. Il passe sa formation à Würzburg, Zurich, Vienne et Paris et exerce sa profession de médecin dès 1896. Ce futur député indépendant commence sa carrière politique au niveau local en 1904, quand il est élu pour la première fois au conseil communal. Il est bourgmestre de 1908 à 1920. Avant l’invasion, il exerce son mandat parlementaire de 1911 à 1915 et de 1925 à 1940. Après la libération, il rejoint l’Assemblée consultative. Il se présente aux élections en octobre 1945, mais n’est pas réélu. Godart meurt le 27 septembre 1951.
Pierre Hamer : Propriétaire et commerçant à Pétange, le socialiste Pierre Hamer dirige les affaires communales de Pétange comme maire jusqu’en 1941. Il est élu à la Chambre des Députés pour la première fois en 1928, un mandat qu’il occupe sans interruption jusqu’en 1940. Il meurt d’une cause naturelle le 27 mars 1944 à Pétange.
Antoine Hansen : Le député du Parti de la droite Antoine Hansen jouit d’une longue carrière politique à la Chambre. Né le 2 novembre 1855, ce propriétaire de Diekirch est élu pour la première fois en 1912. Pendant de nombreuses années, il est le doyen d’âge du Parlement. À côté de sa carrière politique, il est aussi engagé dans plusieurs associations du milieu catholique. Il décède naturellement le 19 août 1944.
Edouard Kirsch : L’agronome Edouard Kirsch a 71 ans au moment de l’invasion du Luxembourg. Il représente le Parti de la droite à la Chambre des Députés de 1919 à 1940. À Dippach, il se trouve à la tête de la commune comme bourgmestre de longue date depuis 1897. Avant l’occupation, il ne se fait jamais remarquer par des déclarations pro-allemandes et a la réputation « d’un homme intègre, actif, dévoué envers ses concitoyens »4. Or, il figure parmi les premiers Luxembourgeois à porter l’insigne « Heim ins Reich » et participe à de nombreuses manifestations nazies. Après la libération, il est arrêté, mais relâché peu après en raison de son âge avancé. Accusé d’attitude pro-allemande – il est resté bourgmestre sous l’occupation –, son dossier pénal est classé en 19475. Il meurt le 24 juillet 1951 à Sprinkange.
Charles Krombach : Peu est connu sur le médecin-vétérinaire Charles Krombach. Député libéral de Dudelange, Krombach est élu à la Chambre pour la première fois en 1908, et y siège jusqu’en 1918. Il est réélu en 1923 et occupe son mandat jusqu’en 1940. Il meurt d’une cause naturelle le 20 août 1944.
Jean-Pierre Mockel : Jean-Pierre Mockel, comme beaucoup de ses collègues, est bien ancré dans la politique locale. Né le 22 février 1884 à Kleinbettingen, cet employé de chemin de fer devient échevin de Steinfort en 1929. Il est président de l’association locale de Kleinbettingen de la Fédération nationale des cheminots de 1922 à 1940. Il est élu à la Chambre sur la liste du Parti ouvrier en 1931, et y siège sans interruption jusqu’en 1940. Il meurt le 30 septembre 1942 d’une cause naturelle.
Léon Muller : Né le 10 mai 1888 à Luxembourg, Léon (ou Leo) Muller est d’abord enseignant, avant de se réorienter vers le journalisme en commençant au Luxemburger Wort en 1919. En 1933, il fonde son propre journal, le Luxemburger Volksblatt, dans lequel il exprime son admiration pour le national-socialisme. Toutefois, en tant que fervent nationaliste, il ne réclame pas le rattachement du Luxembourg au Troisième Reich. En 1937, il est élu à la Chambre des Députés sur la Liste démocratique. Sous l’occupation, il retourne sa veste et soutient la politique nazie du « Heim ins Reich ». Après la reprise de son journal par les autorités nazies en octobre 1941, il est employé aux services de presse de l’administration civile allemande, fonction qu’il occupe jusqu’à la libération. Son attitude pendant la guerre semble davantage motivée par la nécessité de subvenir à ses besoins, d’autant plus qu’il ne s’est pas enrichi et n’a dénoncé aucun de ses concitoyens. Il est condamné le 1er juillet 1946 à deux ans de prison. Il meurt le 2 décembre 1959.
Jean Origer : Chanoine titulaire de la Cathédrale de Luxembourg, directeur de l’imprimerie Saint-Paul depuis 1913, directeur du quotidien Luxemburger Wort depuis 1934, président du Parti de la droite, l’abbé Jean Origer est une des figures les plus influentes de la droite catholique de l’entre-deux-guerres. Après quelques hésitations en 1933-1934, Origer prend ses distances au nazisme, notamment après la persécution du clergé et des catholiques allemands par Hitler. Avant la guerre, avec plusieurs collaborateurs du Luxemburger Wort, il crée la Katholische Bereitschaft Luxemburg (KABEL) afin d’observer les activités des nazis luxembourgeois et allemands et de relayer ces informations aux autorités belges et françaises. En tant que député depuis 1925, il est impliqué dans la discussion de nombreux projets de loi, s’intéressant surtout aux questions sociales et culturelles. Né en 1877 à Esch-sur-Alzette dans une famille d’agriculteurs, il ne survit pas à la guerre. Arrêté le 6 septembre 1940, incarcéré par la Gestapo, puis déporté au camp de concentration de Sachsenhausen, il meurt le 17 septembre 1942 au camp de Dachau.
Albert Philippe : Député du Parti de la droite de 1919 à 1940, cet avocat est aussi échevin à Luxembourg pendant de nombreuses années et membre de plusieurs conseils d’administration de sociétés. Il est également vice-président de l’Union des villes et centres touristiques et s’intéresse, comme député, à des questions d’urbanisme et d’aménagement. Au sein du barreau, Philippe est un des avocats qui s’opposent à la mise au pas des avocats au Luxembourg. Les Allemands lui retirent son autorisation professionnelle en mai 1941. Il est déporté au camp de Hinzert, où il est relâché le 4 novembre 1941. Il se suicide le 17 décembre 1941.
Pierre Prüm6: L’avocat de Clervaux Pierre Prüm (ou Prum) se démarque de ses collègues en raison de la complexité de son cas. Né le 9 juillet 1886 à Troisvierges, il est élu à l’âge de 27 ans à la Chambre, après ses études à Louvain et à Berlin. En 1925, à la suite d’élections anticipées, Prüm, président du Parti national, devient Premier ministre d’un gouvernement qui n’est en place que jusqu’en juin 1926. En 1937, il est réélu à la Chambre sur la liste du Parti des classes moyennes, paysans et ouvriers dans la circonscription Nord. Après l’invasion, il se retire dans son château à Clervaux, où il accueille des réfugiés du sud du pays. Il ne participe pas à des manifestations nazies, ne prend aucun poste politique et ne signe pas la lettre destinée à Hitler en août 1940. Or, il continue à exercer sa profession d’avocat, mais plaide peu de cas. En 1942, un accident le rend invalide. Après la libération, une procédure pénale est lancée contre lui. Il est confronté à une série d’accusations, notamment celle d’avoir été un homme de confiance (Vertrauensmann) de la Gestapo. Plusieurs témoignages semblent au moins confirmer ses contacts avec des agents de la Gestapo, mais sans établir une relation rémunérée7. Condamné à une peine de prison de 4 ans, son état de santé se fragilise et il meurt à la suite d’un arrêt cardiovasculaire le 1er février 1950.
Mathias Schaffner : Maître-forgeron et bourgmestre à Echternach, Mathias Schaffner est élu député du Parti de la droite en 1928. À la Chambre, il s’intéresse particulièrement à des questions touchant l’artisanat, les classes moyennes et l’est du pays. Il meurt le 4 juillet 1940 à la suite d’un accident vasculaire cérébral.
Marcel Schintgen : Marcel Schintgen est né le 25 avril 1891 à Pétange. Directeur des minières à Rodange, il est élu à la Chambre des Députés en 1934 sous l’étiquette du Parti de la droite. Il est également membre de la Société des naturalistes luxembourgeois et conseiller communal. Pendant l’occupation, il entretient des contacts étroits avec les autorités allemandes pour des raisons professionnelles. Après la guerre, il est visé par l’épuration, mais aucune suite judiciaire n’est donnée. Son dossier pénal est classé en 1950. Sur recommandation de son parti, il renonce à son mandat parlementaire. Il ne siège pas à l’Assemblée consultative et ne se présente pas aux élections de 1945. Il décède le 7 septembre 1979 à Luxembourg.
Léon Weirich : Né le 20 mars 1878 à Weiler-la-Tour, Léon Weirich passera sa vie à Esch-sur-Alzette. Cet ouvrier-mineur s’engage dans le Parti ouvrier et devient député en 1928. Il occupe le poste de président au sein de différentes entités : le syndicat LAV, la Chambre des ouvriers, la section socialiste eschoise ou encore la Circonscription Sud de son parti. Pendant la guerre, il est déporté et arrive à Dachau le 5 décembre 1941, où il trouve la mort. Après la guerre, un certain Cresto est accusé d’avoir dénoncé Weirich8.
Jean-Pierre Wiltzius : Vigneron à Schwebsange, Jean-Pierre Wiltzius entre à la Chambre en 1925 comme député du Parti de la droite. Il occupe une série de postes à côté de son mandat de député, notamment celui d’échevin à Wellenstein et de président de la Fabrique d’église. Il est déporté le 19 septembre 1942 à Leubus dans le cadre des transplantations forcées. Le 8 janvier 1944, il meurt à l’âge de 62 ans à Würzburg après une brève maladie.
Références
[1] « Kleng Revue », dans Revue n° 50 (12 décembre 1990), https://viewer.eluxemburgensia.lu/ark:70795/dpvrj3cj7v/pages/8/articles/DIVL100?search=emile+bohnenberger, consulté le 16 juillet 2025.
[2] Voir le dossier concernant Jean-Baptiste Didier : ANLUX, CT-03-01-04405.
[3] REULAND Will, « Spiegelbild eines Abgeordneten: Dr. Pierre Godart: 1911-1945 », dans MERSCH Jean et SCHROEDER Aly, Nidderdonwen 1986 / Sapeurs-pompiers Niederdonven, Niederdonven, Sapeurs-pompiers, 1986, p. 381-396.
[4] CERF Paul, De l’épuration au Grand-Duché de Luxembourg après la Seconde Guerre Mondiale, Luxembourg, Saint-Paul, 1980, p. 105.
[5] Pour le dossier, voir : ANLUX, CT-03-01-06622.
[6] WEHENKEL Henri, « L’homme au masque de fer », d’Lëtzebuerger Land (15 mai 2015), https://www.land.lu/page/article/219/8219/FRE/index.html, consulté le 16 juillet 2025 ; WEHENKEL, Entre chien et loup.
[7] Voir le dossier : ANLUX, CT-03-01-04410 relatif à Pierre Prüm.
[8] « Zum Säuberungsprozeß Cresto », Escher Tageblatt (22 juin 1946), p. 7, https://viewer.eluxemburgensia.lu/ark:70795/s06z2v/pages/7/articles/DTL102?search=L%C3%A9on+WEIRICH, consulté le 16 juillet 2025.
La Chambre des Députés et la Seconde Guerre mondiale :
Pour accéder aux articles précédents de notre série sur la Chambre des Députés et la Seconde Guerre mondiale:
- Première partie: Comment les autorités luxembourgeoises créent un régime parlementaire d'exception face à l'invasion nazie
- Deuxième partie: Maintenir l’indépendance, mais à quel prix ? La Chambre de mai 1940 jusqu’à son abolition
- Troisième partie: L’Hôtel de la Chambre sous l’occupation
- Quatrième partie: La Chambre des Députés de la libération au rétablissement de la démocratie parlementaire