Débat autour de l’imposition minimum à 15%

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Publié le 11.01.2022 à 01h00 Mis à jour le 16.08.2022 à 14h19

Pascal Saint-Amans est haut-fonctionnaire et spécialiste de la fiscalité. Il est connu à l’internationale pour avoir lancé le projet BEPS (érosion de l'assiette fiscale et transfert des bénéfices) de l’OCDE en 2012. L’objectif de BEPS est de lutter contre l’exploitation par les groupes internationaux des différences entre les cadres fiscaux des États. Un des outils recommandés consiste en la mise en place d’un taux d’imposition minimum commun de 15% pour les grandes entreprises.

Pascal Saint-Amans, Directeur du Centre politique et d'administration fiscales de l'OCDE, reçu à la Chambre



Une proposition de directive européenne récemment déposée reprend ce principe. Elle cite directement BEPS, témoignant de l’influence des principes développés dans le projet.

 

Pascal Saint-Amans a été reçu le mardi 11 janvier 2022 en Commission des Finances pour deux raisons. Le premier objectif de la réunion était de chercher à mieux comprendre l’impact des évolutions de l’environnement fiscal international, notamment sous l’influence de BEPS, sur le Luxembourg.

Le second objectif était de profiter de son expérience pour avancer sur la préparation du débat d’orientation 7712André Bauler (DP) et Gilles Roth (CSV) sont corapporteurs de ce débat d’orientation sur « la modernisation et les défis de notre système fiscal ».

Si le Luxembourg a encore mauvaise réputation, ce n’est pas justifié

Avant de répondre directement aux questions des députés, dont celle de l’impact du projet BEPS sur l’économie luxembourgeoise, Pascal Saint-Amans a tenu à faire un état des lieux sur les causes qui ont mené aux développements auxquels nous assistons aujourd’hui. Il a expliqué comment la financiarisation, liée notamment à la libéralisation des économies dans les années 1980, avait permis à de petits pays comme le Luxembourg de devenir des moteurs économiques en utilisant l’outil fiscal. Cela aurait mené, revers de la médaille, les grands pays à se sentir menacés dans leur souveraineté financière.





La crise économique de 2008 aurait également montré les limites de ce système. À partir de ce tournant, selon Pascal Saint-Amans, deux possibilités : soit des mesures unilatérales de rétention de la part des grands pays, soit un engagement vers plus de coopération fiscale. C’est dans cette seconde voie que s’inscrivent, selon le haut-fonctionnaire, la levée du secret bancaire et désormais le projet BEPS.

 

Le Luxembourg aurait, selon Pascal Saint-Amans, parfaitement joué le jeu. Le pays aurait changé profondément, soutenu tous les travaux de l’OCDE, et cela depuis le début. Cela inclut le soutien au plan BEPS, dont le pays aurait appliqué dans le détail toutes les mesures, même les plus « radicales ». Pour Pascal Saint-Amans, la réputation du Luxembourg a été « rétablie » sur ce front. Cependant, le fait que la financiarisation de l’économie reste importante (la place financière représente plus de 30% du PIB - produit intérieur brut - au Luxembourg), mènerait inéluctablement à ce que le Luxembourg reste sous un regard critique, notamment des ONG. Celles-ci utiliseraient parfois des mots « blessants » à l’égard du pays, ce qui serait « assez injuste ».

Position nuancée sur l’impact des « deux piliers » du BEPS sur le Luxembourg

La première question des députés était on ne peut plus précise : comment l’introduction des deux piliers sur lesquels repose le plan de l’OCDE va-t-elle influencer la place financière luxembourgeoise ? Existe-t-il un risque de délocalisation d’entreprises, donc un risque pour l’économie luxembourgeoise ?

Le premier pilier concerne la redistribution de l’imposition des entreprises qui font un chiffre d’affaires supérieur à 20 milliards d’euros. Cela concerne les bénéfices d’une centaine d’entreprises mondiales. Cela ne devrait pas, selon Pascal Saint-Amans, représenter un grand changement pour le Luxembourg. Les entreprises remplissant les critères, des géants comme Google ou Apple, n’ayant, proportionnellement à l’économie nationale, qu’une activité limitée. Les sommes qui entreraient en jeu pour une redistribution ne seraient pas d’une importance suffisante pour avoir un impact majeur sur l’économie. D’autant que l’industrie des fonds n’est pas concernée par le premier pilier. Pascal Saint-Amans a cependant tenu à nuancer en affirmant qu’il restait toujours un niveau d’incertitude lié à la complexité de tous les facteurs à prendre en compte, comme par exemple celui d’éventuels profits résiduels.

 

Le second pilier concerne plus d’acteurs, puisqu’il touche toutes les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 750 millions d’euros. Cela concerne beaucoup d’entreprises opérant au Luxembourg. C’est ce second pilier qui doit introduire un taux d’imposition minimal international de 15%. C’est ici qu’un effet pourrait se faire sentir pour l’économie luxembourgeoise. Pascal Saint-Amans a cependant nuancé en insistant sur le fait que l’industrie des fonds restait - ici aussi - neutre fiscalement. La mise en place de la directive européenne introduisant un impôt minimum de 15% signifiera vraisemblablement que le Luxembourg pourra taxer plus d’acteurs économiques. Cela devrait engendrer des revenus supplémentaires. Cependant, si certaines entreprises sont installées au Luxembourg uniquement pour le taux d’imposition, elles risquent en effet de partir. C’est sur ce point particulier que l’impact reste le plus difficile à estimer. 

 

Les perspectives de l’OCDE sur la fiscalité

Les députés ont poursuivi le débat en interrogeant Pascal Saint-Amans sur la perspective de l’OCDE sur la fiscalité au Luxembourg et en général, en vue de la préparation du débat d’orientation 7712.

 

Ils ont notamment voulu avoir l’avis de leur invité sur l'opportunité d'une fiscalité individualisée. Sur cette question, Pascal Saint-Amans a affirmé que l’OCDE avait récemment mené une étude sous l’angle de l’observation de l’imposition selon le genre. Les résultats tendraient à montrer que l’individualisation de l’imposition serait défavorable aux femmes. Il s’est engagé à transmettre aux députés un rapport concernant ce sujet et destiné à être remis au G20.

 

Globalement et sans cibler particulièrement ces remarques sur le Luxembourg, Pascal Saint-Amans a également affirmé que les fiscalités sur l’immobilier et sur les successions étaient souvent largement sous- utilisées, alors qu’elles pouvaient « faire sens économiquement ».

Il s’est engagé à fournir aux députés un ensemble de rapports et de documents de travail de l’OCDE afin de les aider à affiner leur positionnement sur les questions de fiscalité.

 

Enfin, une députée a voulu savoir si le taux minimum de 15% proposé dans le second pilier du BEPS était, selon Pascal Saint-Amans, une fin en soi ou une étape intermédiaire. Ce dernier a affirmé espérer que ce n’était qu’un début. Il a cependant souligné que le taux de 15% était déjà élevé, sachant que le taux moyen des impositions des entreprises sur leurs profits à l’étranger est actuellement plus proche de 0% que de 15%.